Pourquoi la modification de la loi de 1905 n’est pas pertinente ?

L’exécutif agite le chiffon rouge de l’islamisme pour favoriser le retour des églises dans la vie de la République. Les raisons et les moyens évoqués ne relèvent pas de la loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des églises et de l’état. Ce ne sont là que des faux-nez. Et le projet de modification de la loi de 1905 ne semble avoir pour objectif que d’ouvrir la voie vers un nouveau concordat.

Tout le monde n’est peut-être pas pointu dans le domaine, j’apporte donc quelques éléments de réflexion en décortiquant posément les différents éléments, les propositions portées à notre connaissance, et en exposant quelques pistes pour améliorer notre société.

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‘Es geschah im November’ – Kani Alavi. Photo prise sur le mur de Berlin, symbole de la fracture d’une nation.

Le concordat est un accord passé entre l’état et un ensemble de religions choisies par l’état lui-même au travers de représentants. Celui dont héritent l’Alsace Moselle et pour part la Guyane est avec l’église Catholique, Protestante et Israélite.
La loi de 1905 ne considère aucun culte en particulier, autrement dit, les considère tous. J’ajouterai intellectuellement, même ceux qui ne sont pas encore apparus.
De vouloir « intégrer l’Islam » dans la loi de 1905 dite de séparation des églises et de l’état, est donc une ineptie conceptuelle. Elles y sont déjà toutes prises en compte, pourquoi vouloir en intégrer une autre en particulier ?
Sauf à dévoyer cette loi pour lui faire prendre le chemin d’un accord avec les religions soit un concordat.

Pour apporter un éclairage peu connu. De part leur statut concordataire, l’Alsace et la Moselle financent le revenu et la formation des cultes. Selon le rapport d’information du Sénat 2014-2015 [1] en page 57 :

« En Alsace-Moselle, 1 397 ministres des cultes sont ainsi rémunérés par l’État, sur le budget du ministère de l’Intérieur, pour un montant total de 58 millions d’euros. »

C’est une entorse à l’esprit de la loi de 1905, mais surtout, l’Islam est la grande absente de cette entorse. C’est pourquoi les représentants du culte musulman grince des dents.

Force est de constater que la place de l’Islam en France est mise en question parce que les comportements de certains musulmans posent divers problèmes, il  ne faut pas se le cacher, certes mais ces troubles sont d’ordre public (prières dans les rues par exemple) et de terrorisme, or cela ne relève pas de la loi de 1905, ce sont d’autres parties de notre droit qui sont concernées.
Le contrat social de 1905 est en-dehors de ce champ. De brandir ces difficultés qui sont bien réelles, n’est donc qu’un prétexte politique pour faire passer la pilule d’un retour à un statu quo concordataire, intention que l’on prête à notre chanoine de la basilique de Latran, Emmanuel Macron.

L’appel des 113 [2], en référence aux 113 ans de la loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des églises et de l’état, est une pétition en ligne dont un passage est dans la même veine :

« Les signataires de l’appel sont conscients des inquiétudes soulevées par les menées communautaristes et par les dérives intégristes de l’islamisme politique, qui affaiblissent la société française. L’organisation du culte musulman, la transparence de ses financements et le contrôle du respect de l’ordre public par les organes cultuels sont les trois préoccupations que met en avant le gouvernement pour envisager la révision de la Loi de séparation.

En aucun cas la modification de cette Loi [ndlr: 1905] ne saurait être l’un des moyens de droit permettant de résoudre ces graves problèmes. L’organisation d’un culte et a fortiori ses principes théologiques ne regardent pas l’État mais les croyants et les pratiquants. La transparence du financement privé des cultes peut être assurée par des mesures de police fiscale et par des contrôles étroits autorisés par les lois françaises. La police des cultes est déjà entièrement contenue dans la Loi de 1905. Quant à la lutte contre les menées subversives et terroristes, elle ne relève pas de cette loi. »

Alors les plus connaisseurs verront que je passe sous silence le financement des cultes qui est bien du ressort de la loi du 9 décembre 1905.
Et si je ne suis pas contre un éclaircissement sur ce point d’intendance particulier, les actuelles propositions ne me conviennent pas parce qu’elles présentent un risque pour notre société.
Je pointe la possibilité pour un culte de pouvoir obtenir des revenus immobiliers. Si un culte loue des appartements ou maisons, comment sélectionnera-t-il ses locataires ? Fort probablement sur une base religieuse.

Dans une première version, cette disposition avait été proposé par le Sénat par l’article 38 du texte du 20 mars 2018 de la loi dite « pour un État au service d’une société de confiance » [3] :

« Elles pourront posséder et administrer tout immeuble acquis à titre gratuit. »

Certains croyants lèguent leurs biens à l’instance religieuse de leur spiritualité. Le cas est fréquent pour les pratiquants sans descendance. Pour autant, il est rare qu’ils soient propriétaires de biens immobiliers. Le Sénat se cache derrière quelques legs pour ouvrir cette boite de Pandore. Le parlement l’a fort heureusement repoussé. Et l’exécutif de la relancer.

Arrêtons-nous une seconde pour imaginer maintenant ce que cela peut donner avec les ressources du Vatican ou du Qatar…
Quel parc immobilier sera le notre ? A quel morcellement sera promis notre territoire ?

Autre point sur le financement des cultes et la transparence souhaitée dans le projet porté par l’actuel ministre de l’intérieur selon ce que rapport régulièrement la presse. On peut s’étonner par deux aspect de cette question.

Premièrement qu’on ne s’intéresse seulement aux flux d’entrée, comment et par qui les finances arrivent dans l’instance religieuse souvent locale, église, mosquée, synagogue, ou tout temple, mais qu’on ne s’intéresse pas au flux de sortie de ce lieu vers l’extérieur. Que deviennent les deniers du cultes, les quêtes, les dons ? Pourquoi ne pas s’inscrire dans une réciprocité d’équilibre ? Sans voir à mal, on est en droit de s’interroger si les fidèles de tout crin ne financent pas une cause contraire en particulier à leur principe, et en général à nos principes républicains. Cette remarque n’est pas pour stigmatiser, mais pour souligner que pour moi cette réflexion n’est pas aboutie.

Secondement, TRACFIN (acronyme de « Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins ») ne semble pas corroboré ces inquiétudes. Selon le rapport d’information du Sénat 2014-2015 [1] page 29 :

« Contrairement à une idée reçue, les financements des États étrangers dirigés vers des lieux de culte musulmans en France ne représentent qu’une part minoritaire du financement total des cultes, assurés en majorité par les dons des fidèles, ces derniers étant toutefois beaucoup plus difficilement contrôlables, comme l’a confirmé TRACFIN à votre délégation. » [Plus de détails à découvrir dans le rapport]

Sournoisement et cyniquement : Cette divergence d’appréciation relève-t-elle d’une incompétence ? ou d’une préoccupation électoraliste ?

Les différentes propositions réalisées et évaluées lors des différentes concertations effectuées depuis l’automne 2018 non seulement ne permettront pas d’atteindre les objectifs annoncés, mais apporteront son lot de déstabilisation de notre équilibre social.

Alors ? La loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des églises et de l’état est-elle sacrée ?
Souvent les différents porte-paroles de l’exécutif, répondent que cette loi a été modifiée plusieurs fois dans l’histoire. La Fédération nationale de la libre pensée apportent dans son édito du 5 février 2019 [4] les précisions suivantes :

« Dans leurs communications, le Président de la République et le ministre de l’Intérieur indiquent que la loi de 1905 a été modifiée 17 fois dans son histoire et qu’on peut donc la modifier encore une fois. Or, hormis les deux modifications fondamentales commises par l’ex-maréchal Pétain, les 15 autres modifications sont epsilon. L’article sur l’application de la loi en Algérie (alors française) a été supprimé après 1962 et pour cause. L’article qui prévoyait la liquidation des pensions pour les religieux a été aussi supprimé, il est difficile de trouver aujourd’hui un prêtre qui exerçait son ministère en 1905 !

L’article sur le catéchisme à l’Ecole a été intégré dans le Code de l’Education et donc supprimé. L’article sur les jours fériés a été transféré dans le Code du Travail, donc  a été supprimé. Il ne reste donc  comme seules modifications réelles que celles du Régime de Vichy. C’est un drôle de symbole  et un drôle d’exemple quand même pour le gouvernement ! »

Intellectuellement, je ne suis pas farouchement opposé à amender une loi pour peu qu’elle soit améliorée et non dévoyée. Et si l’on s’attache à l’intention affichée, bien des moyens d’amélioration peuvent être mis en oeuvre à peu de frais et sans modifier, en commençant… par l’appliquer !

On peut -et on doit- revenir sur le statut concordataire d’Alsace-Moselle et celui bien incongru de la Guyane. La bagatelle de 58 millions d’euros par an (Cf. plus haut) ! C’est déjà de la belle entorse à l’article 2 de la loi de 1905 « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (etc.) »
Le président Emmanuel Macron et son gouvernement veulent moderniser notre société et pourtant ils ne remettent pas en cause cet archaïsme un siècle plus vieux que la loi de 1905 [5] :

« En Alsace-Moselle, le droit local des cultes est largement issu du concordat de 1802. En Guyane, le texte en vigueur reste l’ordonnance royale de Charles X du 27 août 1828. »

Ils ne semblent pas non plus remettre en cause ce qui semble être une aberration [5] :

« En Guyane, seul est reconnu le culte catholique. Les ministres du culte catholique sont des salariés du conseil général de Guyane. L’évêque a un statut d’agent de catégorie A, les 29 prêtres sont des agents de catégorie B. Dans une décision du 2 juin 2017, le Conseil constitutionnel a jugé que la rémunération des ministres du culte par la collectivité territoriale de Guyane était conforme à la Constitution. »

Préserver ces dérogations, ces régimes d’exception c’est préserver les crispations, et alimenter les tensions. La voie de l’apaisement ne commence pas par le démontage de la loi de 1905  mais par son application pleine et entière !

En second lieu, quitte à toiletter une loi, il serait pertinent de revoir l’article sur les jours fériés transféré dans le Code du Travail sous la forme actuelle de l’article L3133-1 [6]. Cette liste de 11 jours est constituée de 6 jours qui relèvent de la chrétienté.
En République Française, même si on n’est pas chrétien, ces jours fériés sont légalement imposés. La symbolique voudrait que l’on rende férié le 9 décembre pour se réunir autour de la valeur partagée de la laïcité.

Quant aux 5 autres jours restant pour garder un équilibre, cela correspond à une semaine travaillée, ils pourraient être converti en jours de vacances dont chacun pourra poser selon ses convictions.
Le président Emmanuel Macron et son gouvernement veulent inclure l’Islam pour reprendre leur expression, quand notre calendrier affiche une conviction en particulier ! Intégrons-nous tous, en n’en figurant aucune ! Et chacun s’y reconnaîtra.

Enfin une dernière piste est à explorer : la remise en cause de l’école libre.
Si on peut déplorer que quelques unes, mais quelques unes est déjà trop, remettent en cause certains principes et théories scientifiques ou faits historiques, ce n’est pas le point essentiel de mon argumentation. Si je remets en cause ces écoles c’est dans leur constitution intrinsèquement communautaire. Quelle vision et acceptation de l’autre ont les enfants ayant suivi une scolarité communautaire ? Comment s’ouvrir à l’autre qu’ils n’ont pas connus et côtoyés ? Il est ici question d’une Nation, il est question d’un élève sur 6 !
La liberté d’enseigner s’est transformé en outil à communautariser. L’aboutissement bien souvent est le refus de l’autre « qu’on ne connait pas ».
Certes la loi dite Michel Debré du 31 décembre 1959 a été abrogée pour intégrer un code de l’éducation, mais celui-ci doit être revu en particulier sur les articles L141 [7]

Messieurs les parlementaires, si des révisions sont à réaliser dans notre droit, ce n’est pas sur la loi loi du 9 décembre 1905 dite de séparation des églises et de l’état, mais sur le concordat de 1802, l’ordonnance royale de 1828, l’article L3133-1 du Code du Travail, et sur le code de l’éducation !
Pour une meilleure liberté de conscience, pour une égalité du droit sur tout le territoire, pour une fraternité renouvelée !

 

Cadeaux bonus :

Les aumôniers

Selon le site du ministère de la Justice [8], des aumôniers agréés interviennent en détention afin de célébrer les offices religieux, d’animer des réunions cultuelles et d’apporter l’assistance spirituelle aux personnes détenues.
Sept confessions sont agréées au niveau national : les aumôneries catholique, israélite, musulmane, orthodoxe, protestante, bouddhiste et les témoins de Jéhovah.
Au 1er janvier 2015, on comptait 1 628 intervenants cultuels en détention répartis de la manière suivante:

  • Culte catholique : 760 intervenants cultuels
  • Culte protestant : 377 intervenants cultuels
  • Culte musulman : 193 intervenants cultuels
  • Culte témoins de Jéhovah : 111 intervenants cultuels
  • Culte israélite : 75 intervenants cultuels
  • Culte orthodoxe : 52 intervenants cultuels
  • Culte bouddhiste : 10 intervenants cultuels
  • Autres : 50 intervenants cultuels

Quand on lit cette proportion, on ne peut s’empêcher de se questionner : Est-ce que les musulmans sont stigmatisés à outrance et à tort comme la majorité de la population carcérale ? ou est-ce que les aumôniers du culte musulman sont en cruel sous-effectif ?
Sur ce point les ministères peuvent apaiser et agir sans remodeler la loi de 1905.

Nombre de lieux de cultes :

Les journaux tel que La CroixLe monde, le Figaro et le Huffington Post sont consensuels sur des statistiques émanant du Ministère de l’intérieur et de l’OPR (observatoire du patrimoine religieux). Je n’arrive pas à trouver et vérifier ces chiffres sur le site officiel du ministère néanmoins ils sont exprimés dans le rapport du Sénat précédent (numéro de page entre parenthèse) :

  • 45000 églises catholiques (P14)
  • 4000 temples protestants (P19)
  • 2450 mosquées (P25)
  • 420 Synagogues (P21)
  • 130 lieux de culte orthodoxes (P23)
  • 380 le nombre de pagodes et de lieux de culte bouddhistes (P32)

Un facteur 20 entre le nombre d’églises catholiques et celui des mosquées qui, aux dires de certains, « fleurissent partout ». Presque la moitié du nombre des temples protestants.
Là encore, un effort de transparence et de publication (ne serait-ce que sur le site du ministère de l’intérieur) pourrait apporter une mise en relief et d’éviter la voie de l’émotion au bénéfice de la voie de la raison.

 

Sources :

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