Enfant, je lisais tous ces magazines projetant l’an 2000 comme un monde de robots et d’automatisation. Un monde où l’on claque des mains pour allumer la lumière. Un monde où l’on interpelle un ordinateur pour qu’il nous annonce la météo ou la dernière découverte. Un monde où la vision-conférence est utilisée par les familles éloignées. Un monde où on lit sa correspondance sur sa montre. Un monde où les voitures n’ont plus de conducteur et volent entre les gratte-ciels.
Aujourd’hui, si le vol domestique n’est que balbutiant [1], tout le reste est déjà notre actualité. Et même si cela fait presque 40 ans que l’on projette ce monde-là, beaucoup semblent surpris qu’il en soit de nos jours ainsi.
Et certains politiques de brandir l’invasion des robots tueurs d’emplois. De constater que notre fiscalité est démunie lorsqu’un travail salarié est remplacé par un robot. Certains dont Bill Gates, lancent l’idée d’une taxe sur les robots. L’idée de remplir les caisses voire de palier le manque d’emplois par une telle taxe pourrait paraître comme une bonne adaptation.
Néanmoins on pourrait craindre qu’elle accélère la délocalisation des dernières chaînes de montage, que nos serveurs informatiques soient un peu plus dans le cloud, et beaucoup moins en France, voire qu’elle provoque le déménagement des secteurs innovants et des nouvelles technologies, vers des fiscalités plus clémentes.
Pour éviter une telle fuite, un des facteurs est l’équité. Si une taxe ou un impôt semble juste et équitable, il est toléré, accepté voire réclamé (« il ne faut pas exagérer » me dit-on dans l’oreillette droite). C’est pourquoi je me pose la question : Quels principes devrait adopter une taxe sur les robots pour assurer son équité ?
D’abord, précisons le terme de « robot ». A mon sens, je dirai qu’il regroupe tout automate réalisant des tâches sans l’intervention de l’homme. A la différence des outils qui nécessite la présence d’une femme ou d’un homme. Cette définition est précise et son champ d’application est vaste.
Répondant à cette définition on retrouve l’asservissement des climatiseurs, le cycle d’un lave-linge, les automates des chaînes de montage automobile, les automates informatiques (tels ceux utilisés en bourse). Le métro et la voiture sans chauffeur sont de parfaits robots. L’ascenseur n’a plus de groom, le standard téléphonique n’a plus d’opératrice, le télépéage n’a plus de sourire.
Ces derniers exemples montrent bien que l’introduction des robots, automates ou automatismes, peu importe comment on les dénomme, n’est pas nouvelle. Que cette introduction ne date pas des GAFA (Google Apple Facebook Amazon) !
Et je complète d’interrogations : Quels emplois les GAFA ont supprimés !? Ils sont basés sur un secteur formé ex nihilo, cette économie a-t-elle réellement détruit des emplois ?
Alors oui, au bout du bout du raisonnement on peut trouver des destructions. Amazon par sa vente de livres par correspondance a porté préjudice à bon nombre de librairies. Comment établir le lien de causalité ? Comment estimer le nombre d’emplois créés chez les transporteurs et ceux supprimés chez les libraires ?
La trajectoire de l’automatisation est aussi un point important. Il est vrai que dans les années 1970-90 des tâches réalisées par des femmes et des hommes ont été automatisées, que des emplois ont été remplacés par des robots dans tout un pan de l’industrie. Qu’en est-il aujourd’hui ? Si une usine automobile est construite, elle sera en tout ou partie automatisée. Absence de création d’emplois vaut-elle destruction ?
Dans l’informatique, on s’améliore, on va plus haut, plus vite, plus loin, et ce avec autant de personnes. Un exemple personnel : dans les années 2000 avec mes outils, j’abattais autant de tâches que 5 techniciens des années 70-90, aujourd’hui je conçois et outille des robots qui abattent autant de tâches que 50 techniciens des années 70-90, voire plus.
N’est-ce pas une vision tardive que d’envisager les robots en destructeurs d’emploi ? Si cela avait du sens dans les années 70-90, l’automatisation n’est-elle pas actuellement dans une autre phase ? Ne sommes-nous pas passé de la phase de remplacement d’emplois par les robots à une phase d’amélioration et d’expansion de l’automatisation ? Comment établir qu’une telle expansion est créatrice d’emplois, un frein au renouvellement ou une destruction d’emplois ?
Comment considérer les robots qui exécutent des tâches impossibles à réaliser par des femmes et des hommes ? On peut se poser la question des robots d’analyses envoyés sur des objets spaciaux, planètes, comètes ou satellites, des robots des situations dangereuses, dans un contexte toxique et/ou piégé. Mais avant ces cas extrêmes, on peut étudier tant de mécanismes informatiques autonomes, qu’il soit réseau, de sécurité, la gestion des courriels et j’en passe. Comme le demandait Staline [2]: « L’anti-virus !? combien d’emplois ? »
Le lien direct entre la robotisation et la destruction d’emplois me semble une vision datée. Et en s’appuyant sur Joseph Schumpeter décrivant la destruction créatrice [3], on peut imaginer que la phase de destruction est plutôt actuellement sur son déclin et que la phase de création est en cours. Certes pleine d’incertitudes et de remises en cause.
Quoiqu’il en soit, on peut tout de même se poser la question d’un mode de taxation « des robots ». Dit autrement, comment « taxer les robots » ?
Plusieurs axes peuvent être développés : sur la valeur ajoutée, à l’apport, à la tâche, une redevance, à la consommation.
Comment procéder à la distinguer le ratio humain/robot dans la valeur ajoutée d’une entreprise ? Est-il possible de réaliser une telle distinction ? Pour sortir de ce casse-tête, on pourrait imaginer de passer outre cette distinction en taxant les entreprises faisant usage de robots. Or la plupart des entreprises utilisent des ascenseurs et des standards téléphoniques automatiques, des serveurs de messagerie. On perçoit l’aberration. Faudrait-il définir une liste de robots taxés ou exonérés ? Sur quel critère ? Aucun moyen de discernement cohérent ne semble se dessiner.
En conséquence, aucun principe ne permet d’assurer l’équité d’une taxe dite robot basée sur la valeur ajoutée.
Ce que je nomme l’apport est légèrement différent à la valeur ajoutée. Reprenons l’exemple du serveur de messagerie ou de ces robots ménagers aspirateurs déambulant, sans valeur ajoutée, mais d’un gros apport au sein d’une organisation. L’un facilite la circulation d’informations et l’autre maintient la qualité des conditions de travail. Comment quantifier leur part dans le dynamisme d’une entreprise ? A cette question s’ajoute les mêmes problèmes de critères énumérés pour la valeur ajoutée.
Quant à une taxation à la tâche ou à l’acte, on entre encore plus dans le détail au cas par cas…
Il me parait bien compliqué voire impossible de définir ces méthodes, et donc des principes d’équité.
Une autre méthode de taxation serait une redevance. Comment envisager une chaîne de montage ? En tant qu’un unique gros robot ? Ou bien faut-il l’envisager au pluriel ? Par bras articulés ? par mètre linéaire de tapis roulant ? Ca parait bien compliquer à définir.
En considérant que l’autonomie et l’intelligence des robots est liée peu ou prou à leur capacité de calcul, on pourrait s’adosser sur la puissance de leur processeur. A l’instar de feu les vignettes automobiles dont le prix était indexé sur la puissance moteur.
Comme le rappelle Laure Bellot [4] : « Un iPhone est plus puissant que l’ordinateur de la fusée Apollo en 1970 ». Il faut aussi observer ces nano-ordinateurs comme le raspberry-pi, ordinateur complet de la taille d’une carte de crédit lancé à 35$ en 2006, et dont la version 2 de 2015 est 6 fois plus rapide pour le même prix, ou le CHIP ordinateur de bureautique de la taille d’un briquet à 9$. Tous ces exemples pour souligner la croissance explosive des capacités de calculs.
Comment adosser une fiscalité pertinente et équitable sur un domaine qui démultiplie ces capacités tous les ans ?
Un autre angle de vue de ces capacités est sur leur usage concret. Car les usages ne suivent pas les capacités. En vulgarisant un peu, on navigue sur internet aussi bien avec les ordinateurs d’aujourd’hui que celui d’hier. Les tâches effectuées par un raspberry-pi de 2006 seront les mêmes que celles en 2015. Qu’en est-il du « 6 fois plus rapide » ? A l’emporte-pièce, je dirais que c’est du gâchis.
Si l’échelonnement questionne (précaution à l’attention des experts), encore aujourd’hui, bien des serveurs informatiques sont peu utilisés au regard de leur capacité.
Pour reprendre l’analogie avec la vignette automobile, c’est un peu comme aller à la boulangerie à pieds en laissant une grosse cylindrée au garage.
Qui ne fait rien, ne consomme rien. Ce qui amène à la dernière méthode de taxation envisagée : la consommation. Pourquoi ne pas considérer qu’il existe un lien direct entre ce qu’un robot apporte (apport et valeur ajoutée confondus) et ce qu’il consomme ?
Cette approche aurait le mérite de motiver les baisses de consommations d’énergie, ce qui s’inscrit dans une nécessité écologique.
Néanmoins, on peut se poser la question de l’équité dans le rapport consommation/valeur ajoutée entre un nano-ordinateur et un moteur triphasé. Sommes-nous dans la même échelle ? Il est à craindre que l’équité entre le mécanique et le numérique soit rompue.
La distinction entre les automates, et l’établissement de critères semblent déjà très compliqué à établir. Cette différenciation semble pourtant indispensable pour assurer une équité. Et, les taxations éventuelles envisagées paraissent au mieux impossibles, au pire ineptes.
Le seul principe qu’une taxe sur les robots devrait adopter pour assurer son équité serait de ne pas exister.
Notes :
[1] Airbus a présenté sa voiture volante au 87e salon automobile de Genève début mars 2017
[2] Je m’amuse ici à plagier le fameux « Le Vatican !? Combien de divisions ? »
[3] Joseph Schumpeter : Capitalism, socialism and democracy (1942)
[4] Laure Bellot : La déconnexion des élites – Comment internet dérange l’ordre établi (2015).