En quoi le revenu universel nous interroge-t-il sur notre relation au travail ?

D’emblée, je me permets de préciser que je fais la distinction entre le travail et l’emploi, entre le revenu, la rétribution et le salaire. Et j’ouvrirai des petites parenthèses pour des mises en relief.

Cet article s’articulera en 3 parties pour aborder la notion de travail, emploi, rétribution puis celle de revenu, en particulier universel, pour enfin s’intéresser à la question qui nous est posée. Ce sommaire de prétentieux compense la précipitation de la rédaction entre énumération et style télégraphique.

Le travail est un ensemble de tâches qui apporte une transformation.
Ces tâches peuvent être humaines, animales, naturelles ou robotisées (mécaniques et/ou logicielles).
De part son évidence, pas besoin de préciser pour les tâches humaines.
Je ne perçois pas encore la portée d’inclure les tâches animales, mais je le pressens. Les chevaux de trait sont irremplaçables dans certaines montagnes. Le spectacle du dompteur serait bien terne sans lion. Les chiens d’avalanches sont d’une aide inestimable. Et nous pouvons rendre hommage aux 30000 pigeons ayant servis dans nos régiments de transmission lors de la première guerre mondiale.

Les tâches naturelles sont l’oeuvre de la nature dans le temps, ce qu’on appelle les énergies que soit le solaire, l’éolien, la marée, mais aussi le compost, le pétrole. De plus j’y ajoute le travail de l’arbre qui par sa croissance nous offrira des fruits et du bois, le travail de transformation que sont l’érosion ou les ensablements, le travail de dévastation des tempêtes et cyclones.
Michel Serres dans Le contrat naturel aborde la nature sous l’angle d’une entité

Petite parenthèse, avec mes pigeons médaillés, je parlais des tâches animales et non de ressources animales comme la laine, le lait, la viande etc. ces dernières auraient leur place, selon moi et sans certitude, dans les tâches naturelles en tant que travail de la nature dans le temps.

J’entends par « travail robotisé » ce qui est effectué sans la nécessaire présence d’un homme, à la différence des outils. Tous ces automates mécaniques ou logicielles voire souvent mixte qui réalisent des tâches.

Le travail est un ensemble de tâches qui apporte une transformation.
Et par transformation, j’entends bien sûr toutes les productions, marchandises ou productions artistiques, mais aussi les transformations de la nature comme les aménagements territoriaux tout autant que les saccages sauvages (les déforestations par exemple), les transformations des personnes (à l’issue d’un concert ou par les connaissances acquises lors d’une lecture). Les services sont aussi des transformations. Une prestation de ménage transforme un lieu sale en un lieu propre. Un service de conseil transforme un client béotien en personne avertie. Un service de transport transforme le lieu de présence d’une personne ou d’un bien.

Avec une telle définition du travail, ma distinction entre travail et emploi s’explique d’elle même. Un dernier exemple, lorsqu’une personne amène des enfants à l’école, c’est un travail. Si ce sont les parents qui s’en chargent ce travail est bénévole, si c’est une baby-sitter il est rémunéré et devient un emploi.

L’emploi est une forme de soumission économique et hiérarchique dans laquelle s’exerce un échange entre un travail humain et un revenu appelé salaire.

La rétribution est la récompense d’un travail réalisé. Elle peut prendre la forme d’un revenu, néanmoins elle peut prendre des formes bénévoles comme l’épanouissement, la satisfaction, la réalisation de soi-même. Car le bénévolat est bel et bien un travail qui transforme l’homme et la société. Que ce soit des actions individuelles, au travers d’associations structurées, ou de contributions désintéressées collaboratives. Mais aussi l’étude, la formation, la recherche, la découverte, la réflexion qui sont rétribuées par l’enrichissement personnel, parfois collectif.
A mon sens, l’aphorisme « tout travail mérite salaire » devrait être « tout travail mérite rétribution ».

Venons-en donc au revenu. C’est un gain pécuniaire se déclinant sous plusieurs formes :

  • Le salaire lié à un emploi
  • Le traitement lié au fonctionnariat
  • La rente liée au patrimoine
  • L’indemnité et la compensation liées à une fonction

A l’heure actuelle, mes réflexions m’amènent à penser que suivant cette grille de lecture, le revenu universel serait une indemnité liée à -permettez-moi- la « fonction citoyenne », dit autrement le fait d’être citoyen. Tout citoyen percevrait un tel revenu, sur l’unique base d’être citoyen, sans distinction de sexe, de race, de religion ou des autres revenus.

En tant que distribution inconditionnelle, le revenu universel est proche de l’hélicoptère monétaire, idée lancée en 1969 par Milton Friedman l’économiste classé dans les orthodoxes en faveur du marché régulé. L’idée est complexe, disons pour simplifier à l’extrême que cela consiste à distribuer de l’argent sans devoirs. Si le principe peut paraître louable, il est à anticiper que cette manne sera captée par des entreprises déjà bien rompues à la captation des richesses. Et donc qu’au bout du compte le déséquilibre persistera, voire s’accentuera.

Cette préoccupation rejoint celle de Jacques Attali qui pense que l’idée brute de cette distribution inconditionnelle doit être retaillée. Et il préconise un revenu de formation, en d’autres termes que les formations et les études ne soient pas coûteuses mais rémunérées.
Cette approche est une conjonction de nos réflexions et non une quelconque idolâtrie du personnage.

La formation et les études sont une des clefs majeures pour aborder notre monde de plus en plus complexe, résultat d’un empilement de réflexions, de concepts, de techniques, d’évolutions qu’il faut savoir peu ou prou comprendre, appréhender, voire maîtriser.
Ce travail en tant que tâche transformant la personne en études et/ou en formation réclame un accompagnement de la famille souvent difficile parfois impossible. Les coups de projecteurs de l’actualité ont dénoncé les pannes de l’ascenseur social.

Tant que beaucoup auront le choix entre se remplir la tête ou se remplir le ventre, s’ouvrir un avenir par la formation et faire bouillir la marmite, les temps seront au recroquevillement et au lendemain qui déchantent.

Je rejoins Bernard Stiegler (dans « L’emploi est mort vive le travail ») en distinguant emploi et travail, et je rejoins Jacques Attali en considérant l’étude et la formation comme un travail devant être rémunéré.

Mais revenons au revenu universel en tant qu’indemnité citoyenne. En quoi interroge-t-il sur le travail ? Et comme nous l’avons vu en tant que transformation ?
Nous sommes donc amené à parfaire la question en : En quoi une indemnité citoyenne interroge-t-elle sur les transformations localisées, de la cité, du monde. En d’autres termes avec une dimension sociétale, sociale, écologique et sur l’usage des automates. Quelle société souhaitons-nous ? Quelle place donnons-nous à l’homme, aux animaux, à la nature, et aux robots ? Est-ce qu’un tel revenu offrirait plus d’actions caritatives, plus de projets collaboratifs, d’implication dans la cité ? Est-ce qu’un tel revenu permettrait une meilleure rétribution sur les aspects de la satisfaction humaine et l’épanouissement de tous ?
Ou n’est-ce qu’un doux leurre capté par les multinationales captant toujours plus de richesses ? Le revenu universel pourra-t-il lutter contre les disparités, et cette criante croissance de l’inégalité (Cf. Le Capital du XXIe siècle – Thomas Piketty) ? Quelles protections devraient être mises en place a priori pour éviter d’obtenir cet effet pervers d’un énième transfert des contribuables vers les multinationales ? La fameuse privatisation des profits, socialisation des pertes (Cf. economixcomix.com).

En conclusion, ma réponse à la question posée est que bien des travaux d’amélioration de la condition humaine et de l’épanouissement de l’humanité seraient possibles avec l’appui d’un revenu universel pour peu qu’on le protège d’un marché captif et que l’on casse la dynamique de concentration des richesses. Enfin il est à noter que ce verrou répond de la responsabilité de bien des maux de l’humanité. Et si ce verrou sautait, le revenu universel serait-il toujours aussi prometteur ?

1 réflexion sur « En quoi le revenu universel nous interroge-t-il sur notre relation au travail ? »

  1. Bonjour Olivier, je suis Michaël B. propriétaire et animateur d’une chaîne Youtube assez connue.

    Je viens de lire avec attention ton article que je trouve pertinent. Et pour alimenter ta réflexion sur la question posée, j’ai lu dans un magazine (Society) une étude très intéressante à ce sujet, issue du livre récemment sortie « Utopies Réalistes » de Rutger BERGMAN, qui démontre comment des politiques de rémunération d’individus marchent et produisent de très bons résultats, notamment auprès des populations au sein de contextes sociaux difficiles pouvant vivre en marge de la société. Ce qui démontrerait que la mesure phare du candidat HAMON du feu parti socialiste (sic !) n’était pas si utopiste et philantropique que cela. Et que cela pourrait même représenter une alternative avec de bonnes chances de réussite et de progrès.
    Je te laisse donc consulter cet ouvrage si tu le souhaite et au plaisir d’échanger.

    Cordialement,
    Michaël B.

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