Perdu sur la hauteur d’une colline castillane, un bel arbre solitaire s’épanouissait paisiblement. Il avait vécu, connu quelques histoires. Son tronc été marqué de coups de canif, des cœurs y furent gravés par le passé.
Il étendait ses branches dans un lent étirement comme pour sortir d’un trop long sommeil. Offrant refuge aux oiseaux de passage, son feuillage ombrageait une grosse pierre qui caressait ses racines.
Une corneille y avait pris ses habitudes.
Les journées s’égrainaient tranquillement. Parfois, il s’égayait du chant des oiseaux sur l’air du temps.
De mémoire de corneille, on n’avait encore jamais connu de telle journée. Elle avait pourtant l’allure calme et chaude de toutes les autres, enveloppant la colline de sa torpeur de chaleur étouffante.
De son pas lent, la journée était bien avancée.
Ce sont les feuilles qui ont commencé. Quand elles se sont doucement animées dans un joli bruissement. De leur couleur argent, cette petite danse teintait de-ci de-là le feuillage ainsi scintillant. Ce léger mouvement ondulant avait incité les oiseaux à chanter plus fort qu’à l’accoutumée.
Soudain, les oiseaux s’envolèrent, vire-voltèrent ; virage sur l’aile pour disparaître. Les branches tanguaient comme si l’arbre chafouin avait cherché à chasser ces petites choses chétives.
Par bourrasques, le vent enflait, grossissait, forcissait. Les branches battaient dans une folle chorégraphie, une démesurée mesure. Sous le souffle soutenu, des branches fatiguées se libéraient dans un fol éparpillement.
Le soleil rasant peignait sur fond d’un magnifique ciel écarlate, de noirs nuages majestueux. Sous les mouvements d’un pinceau inspiré les couleurs entraient dans l’harmonie du mélange.
Soudain, il éclata apportant dans une vive lumière, une touche de bleu : l’éclair.
Des rondeurs nuageuses, son trait saccadé traversa la toile du ciel virant au violet.
Et l’arbre vert argent, il frappa.
Un éclair sans pluie, de ceux porté par les vents libérés qui font trembler la terre.
La pierre ne cédât pas mais le feu prit de suite.
L’arbre solitaire sentit, c’est sûr, cette sensation chaude qui chahutait ses sens. Ses feuilles se recroquevillaient ; racornies elles n’accueilleraient plus les corneilles. Son bois baillait. Son écorce craquait. Et plus les vieux morceaux inutiles partaient en une grise fumée, et plus il se sentait rester vivant. L’habitant, les insectes, les parasites et les démons le quittaient.
Dans ce moment exaltant, tout de flammes vêtu, il était lui-même dans ses fibres et dans sa sève. Il n’était pas ce qu’on lui demandait d’être entre arbre fruitier et porte-oiseau, ou encore de son ombre et par cette pierre un lieu de repos ou de méditation.
L’incendie le purifiait, le rajeunissait, lui insufflait une ardente envie de vivre. Mais bientôt le feu se désintéressait de lui, et le délaissa soudainement.
Et les flammes gourmandes de se propager alentour dans un grésillement d’herbes brûlées . D’un appétit féroce, elles dévoraient la crête, caracolaient de colline en colline, cramaient les monts méticuleusement.
A la calamité suivait l’accalmie.
Le ciel était à nouveau aussi bleu que les yeux d’un marin. Le paysage naviguait entre le brun et le roux fumé.
La pierre pourtant brûlante avait retrouvé sa vieille corneille. Le si bel arbre était certes carbonisé et meurtri, mais il était solide et encore vert. Qu’importe la désolation autour de lui ! Il était résistant, il en avait vu d’autre, il se reconstituerait.
Le plus étonnant : il était passé entre les gouttes jusqu’ici. Il ne s’y attendait plus. Un coup de foudre à son âge !?
Cet événement inattendu fût d’une sensuelle violence prolongée d’un doux et grisant moment enflammé sublimant son existence. Un temps, il s’était élevé au firmament. Un temps, il avait tutoyé les astres.
Il n’avait saisi aucune opportunité, c’était la fortune qui l’avait saisi. Attrapé par surprise. Et relâché trop vite, trop tôt. Trop de trop-peu.
Où diable était-il cet éclair à cette heure ? Impossible de retourner son mécontentement, sa déception, son insatisfaction, voire un vague désir de vengeance, vers quelque fortune ou quelque éclair. Il fallait accepter l’impossible contentieux avec Tyché.
L’évidence éclatait : quand la fortune vous a choisi, on ne peut rester le même.
De mémoire de corneille, l’arbre n’avait jamais connu de telle journée. Il avait réinvesti la solitude de sa colline. Il avait reconstitué son ramage d’antan. Il avait rouvert toutes grandes ses branches accueillantes. Pour autant, il avait changé. Pourtant identique, il n’était plus le même.
Sans doute attendait-il secrètement le retour de l’imprévisible foudre. D’aucun pensait qu’au fond de lui quelques braises persistaient, et que le feu y couvait encore.
Si vous vous promenez sur la hauteur de cette colline castillane, vous pourrez entendre au pied du bel arbre, juchée sur sa pierre, la vieille corneille crailler ce tourment de ne pouvoir agir, en un récit qui semble commencer par : « Orage !.. »